Ils ont cru au rêve de devenir propriétaires. Des fonctionnaires, enseignants, agents de santé et citoyens issus de la diaspora ont versé plusieurs millions de francs CFA à Peacock Investments, séduits par les promesses d’un logement moderne à Diamniadio. Aujourd’hui, ils sont des centaines à attendre en vain la concrétisation de cet engagement. Le projet phare, baptisé « Cité des fonctionnaires », porté par l’entreprise dirigée jusqu’à récemment par le Marocain Adil Dbilij, promettait la construction de 2 850 logements sociaux sur 72 hectares. Un plan alléchant qui avait séduit de nombreux souscripteurs à travers tout le Sénégal et à l’étranger. Mais près de cinq ans après les premiers paiements, la majorité des bénéficiaires n’ont toujours rien reçu.
Des clients désespérés et financièrement épuisés
« J’ai versé plus de 15 millions de FCFA en 2020. On m’avait promis la livraison en 2022. Nous sommes en 2025 et je n’ai même pas vu l’ombre d’une maison », témoigne M.N., agent public à Thiès.
Les témoignages affluent et se ressemblent tristement. « J’ai payé l’intégralité des 49 millions depuis 2021. Quatre ans après, je n’ai toujours pas les clés de ma maison », confie A.D., un cadre bancaire qui a requis l’anonymat. « Le plus révoltant, c’est que certains clients, arrivés bien après nous, ont réussi à obtenir leur logement à 45 millions, alors que nous avons dû débourser 49 millions. »
Pour Mme S., enseignante dans la région de Diourbel, la situation est catastrophique : « C’est un supplice psychologique. Nous avons mis toutes nos économies là-dedans. Certains ont contracté des prêts bancaires. Et à la fin, nous n’avons ni logement ni certitude. »Un membre de la diaspora basé en France, M.F., exprime sa frustration : « J’ai investi près de 30 millions de FCFA entre 2019 et 2022. J’avais prévu de rentrer définitivement au pays cette année. Mais comment faire sans toit ? »
Un chantier au ralenti et des explications floues
À ce jour, seulement 150 logements ont été livrés — une infime portion de ce qui avait été prévu dans la première phase du projet. Sur le terrain, les travaux avancent lentement, et aucune date claire de livraison n’est communiquée aux clients restants.
« Chaque fois que nous nous rendons sur le site, nous constatons que presque rien n’a avancé depuis des mois », déplore M.B., fonctionnaire au ministère de l’Éducation. « Les quelques ouvriers présents nous disent qu’ils manquent de matériaux. Pendant ce temps, nos traites bancaires continuent d’être prélevées. »
Une cliente, Mme D., sage-femme à Dakar, raconte : « Au début, ils répondaient à nos appels. Maintenant, plus personne ne décroche. Lors de ma dernière visite aux bureaux, un agent m’a même suggéré de ‘prendre mon mal en patience’. J’ai versé plus de 25 millions ! Comment peut-on nous traiter ainsi ? »
Pour nombre d’entre eux, ce qui était un projet de vie est devenu une source de stress, d’endettement et d’amertume. Certains envisagent des actions collectives en justice, d’autres ont déjà saisi des avocats. Le manque de communication de l’entreprise aggrave encore la frustration.
Une gestion entachée de scandales
Outre les retards, Peacock Investments a été secouée par plusieurs crises internes. En 2023, un détournement de près de 900 millions de FCFA par un comptable de la société a été révélé. Des tensions foncières autour du site de Dougar ont également bloqué l’avancement de plusieurs chantiers.
« Nous avons appris par la presse qu’une partie des fonds avait été détournée« , s’indigne M.G., agent de santé à Kaolack. « Cet argent, c’est le nôtre ! Comment expliquer qu’un tel détournement ait pu se produire sans contrôle interne ? »
Pendant ce temps, les clients n’ont reçu ni remboursement, ni solution claire. Certains craignent aujourd’hui de ne jamais voir leur logement.
Un climat de méfiance généralisée
L’arrestation en février 2025 d’Adil Dbilij, ex-directeur général de Peacock Investments, pour des faits présumés d’abus de confiance, a ravivé l’inquiétude. Si la justice suit son cours, les souscripteurs, eux, veulent des réponses concrètes.
« On nous parle de procès, de documents fonciers… mais nous, ce qu’on veut, ce sont nos maisons. Rien d’autre« , lance M.T., un membre du collectif des clients lésés.
Mme L., cadre dans une entreprise de télécommunications et cliente depuis 2020, ajoute : « Les autorités doivent intervenir d’urgence. Il s’agit des économies de toute une vie pour beaucoup d’entre nous. Nous sommes prêts à manifester devant le ministère du Logement s’il le faut. »
Les employés aussi dénoncent des abus
Le malaise ne se limite pas aux clients. En interne, les employés de Peacock Investments font également état de conditions de travail déplorables. « Nous travaillons régulièrement plus de 40 heures par semaine, sans aucune compensation pour les heures supplémentaires« , confie un salarié sous couvert d’anonymat, craignant des représailles.
Plus grave encore, plusieurs employés affirment avoir acheté des terrains auprès de l’entreprise, mais se retrouvent aujourd’hui dans une impasse. « La direction refuse catégoriquement de signer les contrats d’acquisition de nos terrains. Nous avons payé, mais nous n’avons aucun document officiel prouvant que nous sommes propriétaires« , déplore un autre employé.
Le climat social semble particulièrement tendu au sein de l’entreprise. « Toute tentative de création d’un syndicat est immédiatement réprimée. On nous a clairement fait comprendre que nous risquions des sanctions, voire un licenciement, si nous tentions de nous organiser collectivement« , témoigne un cadre de l’entreprise.
Ces révélations sur le management interne jettent une lumière encore plus crue sur les dysfonctionnements de Peacock Investments et soulèvent des questions quant à sa gouvernance globale.
Et maintenant ?
La situation pose avec acuité la question de la protection des consommateurs dans le secteur immobilier sénégalais. Beaucoup appellent à une régulation plus stricte, une meilleure surveillance des projets privés et un encadrement des engagements pris par les promoteurs.
« C’est un véritable parcours du combattant », résume M.K., enseignant-chercheur et porte-parole improvisé d’un groupe de victimes. « Nous avons tout fait dans les règles : versements réguliers, signature des contrats, respect des échéances. Mais de l’autre côté, rien ne suit. La différence de prix entre les premiers et les derniers clients montre bien le manque de transparence. »
En attendant, les souscripteurs de Peacock Investments restent dans l’incertitude, entre colère, désillusion… et espoir que justice leur soit rendue, un jour, par les clés de leur maison en main.